Jean-Pierre l'avait lu l'été dernier, je viens de refermer Saison brune, un ouvrage de Philippe Squarzoni.
Voici le 4ème de couverture :
« Une société vraiment libre, une société autonome, doit savoir s'autolimiter, savoir qu'il y a des choses qu'on ne peut pas faire ou qu'il ne faut même pas essayer de faire ou qu'il ne faut pas désirer »
Cette citation est signée Cornélius Castoriadis, penseur souvent repris par les théoriciens de la Décroissance.
Vous avez peut-être vu Une vérité qui dérange (Al Gore), La Onzième heure - le dernier virage (Di Caprio), Home (Yann-Arthus Bertrand), Le syndrome du Titanic (Nicolas Hulot)... Il y en a beaucoup maintenant de ces films pédagogiques voulant nous sensibiliser à la situation. Les images défilent, elles sont belles, esthétiques, parfois violentes, douloureuses, insoutenables, mais elles passent, très vite, trop vite. Immédiatement substituées par les multitudes d'autres images qui clignotent devant nos yeux quotidiennement, films, documentaires, publicités, reportages, émissions, jeux, actualités... Que reste-t-il des images sensibilisatrices si vite remplacées ? Une vague impression, un sentiment d'urgence pour les plus attentifs... La société de l'information serait aussi celle de l'oubli ? Un problème est immédiatement recouvert par un autre sans pour autant avoir été résolu, loin de là. Pourtant le problème, même si on n'y pense plus est toujours là, voire souvent s'amplifie.
Alors il nous faut des piqûres de rappel. Si possible sous une autre forme. Par exemple des images certes, mais statiques, de papier, lentes...
Là, la piqûre est sous forme de bande dessinée. Mais ce n'est pas une piqûre, c'est une lance qui transperce.
Philippe Squarzoni fait une synthèse de multiples ouvrages lus et de rencontres de scientifiques. Petit à petit, il s'est construit sa compréhension de l'ampleur de la situation et nous la livre d'une manière extrèmement claire, comme si nous la découvrions en même temps que lui.
Il partage ses doutes, sur la manière de réagir face à ces faits que plus personne aujourd'hui ne devrait ignorer. Que faire ? Changer ? Oui. Mais si je suis le seul à changer, mon action n'aura aucun impact, si elle n'est pas imitée par tous. Et encore... Pourquoi donc devrais-je me sacrifier quand tant de gens vivent comme si le monde était infini.
Ne pas prendre une place dans cet avion ne l'empêchera pas de décoller...
Pourtant, les faits sont là, non discutables, il les décrit et les explique, montre leurs interactions :
- le rapport du GIEC et le changement climatique de ses origines avec les gaz à effets de serre anthropiques, combinés aux effets de rétroactions (l'emballement du dérèglement), à ses conséquences dramatiques qui ont débuté et qui vont s'aggraver : réchauffement moyen global jusqu'à un seuil les équilibres seraient rompus, avec les dérèglements afférents (canicules, sécheresses, innondations, tempêtes... selon les régions du monde), la hausse du niveau des océans, les réfugiés climatiques, les risques sanitaires, perte de la biodiversité ;
- les empreintes écologiques des pays et les fortes inégalités ;
- les consommations d'énergies toujours croissantes avec la prédominance des énergies fossiles, leurs limites et leur impossible substitution, le difficile essor des énergies renouvelables, ces dernières ayant elles aussi des inconvénients ;
- les inerties de nos modes de vie : consommations, désirs infinis jamais satisfaits ;
- les politiques menées incapables de proposer des solutions tellement prises par des logiques de croissance économiques, si tant est qu'elles se sentent concernée par le problème "le mode vie américain n'est pas négociable"... Donc la remise en cause du Capitalisme.
Je ne les cite pas tous et en vrac, la présentation est au contraire, logique, très pédagogique, quasi exhaustive. Je suis ressorti de la lecture avec les idées claires sur les constats, mais à l'instar de l'auteur, avec également des idées grises tellement la situation est alarmante, pour ne pas dire grave.
« Il est déjà trop tard pour faire marche arrière. Une autre histoire va commencer ».
Dans les films cités plus haut, les auteurs terminent souvent par une ébauche de solution, technique ou politique, histoire de terminer sur une note positive. Mais cette note positive peut aussi faire penser que l'humanité dans son intelligence trouvera la solution magique.
Ici l'auteur présente la seule solution qu'il estime plausible : un changement de mode de vie, de société, associé avec un scénario de descente énergétique sur le modèle du scénario Négawatt. Mais il reste pessimiste sur les chances de réussite de mettre en oeuvre cette solution, parce que l'inertie est énorme, le train lancé à pleine vitesse et le cap est toujours "droit dans le mur"... (comme l'a dit François Hollande pour les voeux 2013 : "le cap est fixé : tout pour l'emploi, la compétitivité et la croissance. Ce cap sera tenu contre vents et marées. Je n'en dévierai pas." )
Du coup, on peut ressortir avec un coup de blues, mais également plus fort d'une meilleure compréhension de la situation globale avec un outil pédagogique efficace à faire découvrir et à transmettre, et au final une énorme envie de changer tout ça même si l'on sait que ce ne sera pas facile !!! Au boulot.
C'est une oeuvre pédagogique, d'un auteur sensible. Une lecture indispensable à mon avis :-) Du coup, je l'ai ajouté aux incontournables.
(l'ouvrage est disponible dans notre médiathèque mutualisée lors de nos réunions)